écrits, idées, images sur l'architecture
Capriccio d'architecture pour un néo-éclectisme
Regard sur la collection de fragments d’architecture du musée des Monuments français
Afin de parachever ma formation d’architecte, je me souviens parfaitement d’avoir entrepris de visiter le musée des Monuments français à Paris sur la célèbre colline du Trocadéro (fig. 1). C’était en 1995, l’univers d’internet naissait. L’existence d’un tel musée était si étrangère à la formation initiale accordée à ma génération que cette visite constituait un saut dans l’inconnu. Une expérience qui mérite d’être rapportée tant elle constitua un choc et une remise en cause. Chemin faisant cette dernière trouve aujourd’hui, dans les lignes et les illustrations qui suivent, le début d’une ressource onirique pour les théories et modèles permettant de faire l’architecture aujourd’hui.
C’était le printemps, en début de journée. Je devais être un des rares visiteurs à pénétrer dans le musée par l’extrémité de la galerie Davioud. Quelle ne fut pas ma surprise quand j’aperçus alors, au fond d’une première salle, le tympan de Vézelay en vraie grandeur. Je songeai : « Etrange : Vezelay à Paris ? » (fig.2) connaissant bien le sujet car je m’apprêtai à soutenir un travail personnel de fin d’étude sur la Madeleine et le quartier qui l’entoure1. Quoiqu’il en soit, je m’approchai pour le saluer comme je le fais habituellement. C’est alors que je découvris au son creux que produisit son piédroit qu’il s’agissait d’un musée de moulages ! Je me ressaisis et poursuivis ma visite. Sur le côté j’aperçus alors le jubé de la cathédrale de Limoges. N’ayant jamais visité cet édifice, je franchis cette clôture voulant découvrir le choeur... Bigre, je me retrouvais en fait dans la cour de l’hôtel Bernuy, grandeur nature ! (fig.3) Je fis alors demi-tour pour revenir sur mes pas : plus de jubé, mais la porte sculptée d’une maison de Villefranche-de-Rouergue. Déboussolé, je jetai un coup d’oeil à droite, puis à gauche, espérant me localiser et je découvris alors un calvaire breton. Toutefois je n’en suis plus très sûr ! Je me fis le commentaire alors que ce musée était une sorte d’internet de l’architecture. J’y étais comme devant mon écran d’ordinateur, hors du temps et de l’espace, à Reims et à Chartres en même temps !
Il y a plus de 25 ans, cette visite m’a confirmé qu’un musée d’architecture est une chose bien difficile à concrétiser ; mais est-ce bien un musée d’architecture ? Arracher un édifice à son environnement plus qu’organique lui confisque son sens social, culturel, technique, artistique et nous pourrions rajouter aujourd’hui : écologique. Tout ce qui en fait justement une architecture. En effet, chacun sait que le tympan du jugement dernier du portail de la basilique de Vézelay se découvre dans la pénombre du narthex roman de la Madeleine qui participe à le mettre en scène2. Plus encore, cette découverte ne s’offre à nous qu’après avoir gravi la fameuse colline éternelle qui s’avance sur la vallée de la Cure. Quand bien même ce ne soit pas son objectif, un tel musée ne nous dispense pas de cet instant singulier où chacun rencontre un monument d’architecture, l’expérimente physiquement par le corps et les cinq sens. Des démarches qui font de nous des voyageurs à la recherche de co-naissance dont la lente sédimentation permet de recomposer en chacun de nous une culture, voir une histoire.
Un musée pour l’architecture ?
Avant de s’aventurer dans une exploration architecturale de caractère quelque peu iconoclaste, revenons sur l’histoire de ce musée. Créer au lendemain de la Révolution française par Alexandre Lenoir (1761-1839), il est réinventé par l’architecte Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879) quelques années après la fameuse réforme qu’il inspira pour la section architecture de l’école des Beaux-arts de Paris en 1863. Le musée rassemble en un même lieu des moulages de sculpture monumentale qui sont extraites du corpus que constituent les architectures qui ont donné les premiers monuments historiques français. Il porte alors le nom univoque de musée de Sculpture comparée. Difficile toutefois de ne pas les appeler des fragments d’architecture tant ils sont imposants par leur taille notamment.
Replacer dans le contexte du XIXème siècle, ce musée correspond bien à une pratique spécifique de l’architecture. En effet, il sert l’éclectisme que les architectes d’alors pratiquent avec succès. Jean-Pierre Epron qui s’intéresse à comprendre l’éclectisme3 a cependant bien expliqué qu’il s’agit moins d’un style que d’un état d’esprit des architectes. L’éclectisme leurs permettant d’apporter une réponse provisoire dans l’attente de ce que l’on appellera le Mouvement moderne (fig.4). A cette époque, il n’est pas rare de voir les architectes mêler les pratiques de conservation et celles de création4 produisant notamment une longue liste de style « néo ». Le plus prospère étant probablement le néogothique.
Entre deux guerres, alors que les théories et modèles du Mouvement moderne en architecture s’installent dans les pratiques, le lieu est rebaptisé Musée des monuments français. Un nom déjà plus ambiguë. Le musée est aujourd’hui intégré dans la Cité de l’architecture et du patrimoine créée en 2004. Un intitulé qui consacre la séparation de l’architecture en deux disciplines : celle qui crée et celle qui conserve. Il a été complété d’une galerie d’architecture contemporaine et l’ensemble de sa scénographie a été modernisée lors de la rénovation complète du palais conduite par l’architecte Jean-François Bodin (né en 1946). Les cartels qui accompagnent les moulages présentent une photographie ancienne de l’architecture in situ qui éclaire en partie notre appréhension du monument. A ce jour encore, le musée des monuments français est l’un des principaux et des plus anciens musées dédié à l’architecture dans le monde.
De la sculpture comparée aux fragments d’architecture
A l’orée du troisième millénaire, le choc de cette visite, qui venait bousculer mon bagage théorique d’architecte fraichement diplômé, m’avait poussé à écrire un petit texte titré « Autoroutes de l’information et supermarché de l’architecture ». Une prose aussi maladroite qu’engagée que je concluais par une pensée prémonitoire sur les conséquences pour l’architecture de l’internet qu’on appelait alors les « autoroutes de l'informations ». J’y évoquais ces écrans pas plus grands qu’une feuille de papier et sur lesquels on peut concentrer les informations du monde entier, nous affranchissant par la même des lentes pérégrinations de nos corps à la découverte des lieux. « Ne parait-il pas inquiétant que de simples bases de données elles puissent devenir un jour, pour beaucoup, lieux de vie...virtuelle ?5 » Les années ont confirmé cette triste prémonition. Le mouvement d’artificialisation du réel est en plein développement au point à mon sens de mettre en cause l’architecture, mais il s’agit d’un autre sujet.
Quoiqu’il en soit, malgré cela, le musée des monuments français n’a jamais vraiment quitté mon esprit. J’avais l’intuition qu’il était porteur, au delà de l’étrangeté qui avait ému le jeune diplômé, d’une source d’inspiration théorique, voir artistique, à saisir pour faire l’architecture. Aujourd’hui avec le recul, un constat s’impose : ce musée occupe une place mal définie dans la formation des architectes, pour ne pas dire inexistante. Et pourtant, déjà au XVIIe siècle les élèves de l’école de l’Académie royale d’architecture avaient, parmi leurs privilèges, celui de pouvoir utiliser la salle des modèles pour côtoyer des exemples de la bonne architecture. Un dispositif didactique de dessin et de comparaison qui faisait parti du « bagage et du fourniment » de l’architecte pour reprendre les mots de Julien Guadet (1834-1908). Et pourtant, l’échelle grandeur réelle mobilise aujourd’hui, et plus que jamais, les écoles d’architecture ; la majorité d’entre elles disposant d’une halle d’expérimentation, les Ateliers de l’Isle-d’Abeau6 en constituant le fleuron. Des lieux plébiscités par toute une génération d’étudiants qui demande, plus qu’avant, non pas seulement de concevoir mais aussi de construire l’architecture. La galerie pédagogique est passée du domaine de l’observation à celui de la production.
Pourquoi donc un musée des monuments français, anciennement de Sculpture comparée, trouverait difficilement sa place dans la formation de nos futurs architectes ? L’explication trouvée, loin de conclure à l’impasse, est devenu pour moi une source d’exploration théorique et artistique. Entre 1750 et 1950, comme l’a bien démontré l’historien Peter Collins7, l’appréhension, la production et l’enseignement de l’architecture se sont déplacés d’un intérêt plutôt orienté sur l’ornement vers celui de l’expérience spatiale située dans un environnement. Ainsi l’architecture est passée en quelques sorte d’une pratique centrée sur les arts qui y concourent et notamment la sculpture monumentale à une pratique focalisée sur le parcours architectural8. Les principes et les préceptes de l’architecture en tant que pratique ont changés et la formation à cet art si particulier avec9. Ainsi, vu au travers de ce filtre théorique, le musée dispose devant les yeux de l’architecte qui ne voudrait pas s’arrêter à son coté suranné, non plus seulement des sculptures monumentales mais aussi des bribes d’expérience spatiale : le franchissement du seuil d’un portail aux archivoltes successives ; l’abri offert par la sous-face d’un porche en arc surbaissé ; le face-à-face enveloppant d’une abside voutée en cul-de-four.
Le capriccio comme ressource théorique pour l’architecture
Toutefois, le musée des monuments français propose bien une scénographie qui vise à la comparaison des sculptures en les regroupant par périodes historiques et stylistiques : Roman de Bourgogne, plénitude gothique, transition vers la Renaissance. La collection de fragments d’expériences spatiales est en conséquence tributaire de cet agencement de caractère scientifique. Elle n’aurait de significations que fortuite. S’ouvre alors, grâce à cet impensé muséologique, tout un territoire d’exploration théorique et artistique à la recherche de ce que pourrait révéler la géographie imaginaire issue de l’assemblage de ces fragments d’architecture. Cette exploration passe par une pratique de « collages » rejoignant ainsi la tradition ancienne en architecture du capriccio qui, depuis la Renaissance, désigne le regroupement arbitraire d’édifices réels ou imaginaires. Une tradition dont Giorgio Vasari (1511-1574) déjà considérait qu’elle « témoigne de la capacité d'invention d'un artiste, implique un choix conscient de négliger la réalité.10 ». Giovanni Battista Piranèse (1720-1778) est un des maîtres de cette pratique notamment avec ses planches gravées qui illustrent les quatre volumes des Antiquités romaines. Cette forme artistique féconde aussi l’inspiration d’architectes utilisant le capriccio pour passer de l’imaginaire à la réalité. Ainsi, parmi nos contemporains, l’architecte Paolo Portoghesi (1931) conçoit la Strada novissima pour la biennale de Venise en 1980 alors que le mouvement de la Tendenza triomphe. Une rue grandeur nature réalisée d’un collage de façades imaginées par les architectes en vue d’alors et qui ressemble étrangement à la rue imaginaire peinte par François de Nomé (1593-1650)11. Plus concret encore est le pavillon des Pays-Bas conçu par l’agence d’architecture MVRDV à l’exposition universelle de Hanovre en 2000 et qui se présente comme une superposition éclectique de citations d’architectures. On se souviendra aussi du fragment de faux-plafond, un complexe de réseaux divers de plusieurs mètres d’épaisseur, œuvre de Manfredo di Robilant, exposée sous les fresques de la coupole du pavillon centrale des Giardini della Biennale en 2014 du Pritzker Rem Koolhaas (fig. 5). En ouverture de son exposition Elements of Architecture, ce collage iconoclaste signalait dès l’entrée aux visiteurs l’apparition de nouveaux éléments dans le catalogue de l’architecture.
Au Trocadéro il s’agit donc de reconstituer virtuellement les architectures autour des fragments exposés, y compris dans leur environnement réel pour les confronter à la géographie imposée du musée et en extraire quelques « collages » qui, au-delà de l’arbitraire du capriccio, sont signifiants et peuvent devenir des ressources pour faire l’architecture. Un processus d’hybridation que j’avais déjà eu l’occasion d’expérimenter avec un groupe d’étudiant en architecture dans le cadre de l’exposition Chambord 1519-2019 – L’utopie à l’oeuvre de Dominique Perrault et Roland Schaer en 2019 (12).
Beauvais x Avioth
Le premier « collage » proposé met en lien deux architectures monumentales du nord de la France qu’environ trois cent kilomètres séparent : la cathédrale Saint-Pierre de Beauvais dans l’Oise et la chapelle dite de la « Recevresse » d’Avioth dans la Meuse. Dans le musée cependant, les deux fragments sont distants de quelques mètres seulement (fig.6). Le rapprochement n’est pas saisissant au premier regard car les deux moulages présentent les mêmes « matériaux », les mêmes teintes, voir un registre architectonique similaire. Il faut « co-naitre » les deux édifices au-delà de leur style architectural pour mesurer l’incongruité du rapprochement physique et imaginer son potentiel onirique.
Dans le musée, la chapelle d’Avioth (13) est reproduite intégralement. Telle que dans la réalité, elle est un objet autonome et occupe toute l’élévation de la galerie, de fond en comble. Elle domine largement le portail du bras sud du transept de Beauvais14 qui lui est présenté tronqué et adossé au mur nord de la même galerie Davioud. Et pourtant, ce portail n’est qu’un petit fragment de l’immense édifice que constitue la cathédrale, qui elle est au moins quinze fois plus haute. Le rapport d’échelle architecturale est ainsi inversé : la chapelle domine la cathédrale, créant une situation paradoxale qui ouvre vers un champ de perception nouveau. Le contraste ne s’arrête pas à l’échelle de l’architecture. L’orientation cardinale, et ainsi le rapport au soleil, est aussi modifiée. Si le hasard veut que le moulage de Beauvais soit orienté quasiment comme dans la réalité, la chapelle d’Avioth, orientée également au sud dans la réalité, a subi une rotation horaire de 90° dans le musée. Apparait ainsi une situation inédite : deux façades sud d’orientation différente ! Qu’en est-il si cet artifice d’architecture possible dans le musée devenait une réalité ? Il serait possible d’envisager un quadrifont avec quatre façades nord qui ne recevraient jamais de lumière directe ? Ou encore une nef de Vézelay avec deux façades sud contrariées qui, recevant les rayons solaires directs du solstice d’été, verrait se projeter au sol non pas dix mais vingt taches lumineuses animées par les mouvements de deux courses solaires contrariées ?
Enfin, pour terminer ce premier tableau, évoquons le contexte dans lequel s’inscrivent ces deux monuments architecturaux. La cathédrale jaillit, totalement hors d’échelle, du tissu urbain dense de la ville de Beauvais tandis que la chapelle s’inscrit quant à elle sur le point haut d’un village : Avioth. Depuis son seuil, le regard glisse sur le toit des maisons environnantes et se perd au lointain dans les plaines vallonées de la Meuse. Deux environnement bien différents, le premier urbain, le second rural, qui déterminent fortement la perception que l’on a de chacune des architectures. Si l’on vient à les hybrider (fig.7) peut-être que ce collage pourrait donner des idées pour cette ville-nature dont nombre professionnels s’évertuent à proposer une résolution architecturale.
Moissac x Charlieu x Avallon
A l’entrée de la même galerie Davioud, le visiteur du musée découvre un groupe de portails romans sélectionnés parmi ce que comptent de meilleurs les provinces françaises. Il s’agit du portail de l’église abbatiale de Moissac dans le Tarn-et-Garonne , du portail de l’église priorale Saint-Fortunat de Charlieu dans la Loire et de celui de l’église Saint-Lazare d’Avallon dans l’Yonne. Leur mise en scène produit une architecture réelle qui ouvre à nouveau un champs d’imagination pour des capriccio, reconstitutions architecturales fictives.
Au premier abord, la disposition de ces éléments sculptés caractéristiques rassemblés ici et d’origine éparse, si elle autorise la comparaison, produit de surcroit une architecture reconnaissable dans sa composition. L’imposant portail de Moissac, dont les quelques mètres de profondeur génère en soit un espace, est installée au fond (sur la face de fond?) de la première salle du musée. Il joue un rôle évident de porte d’entrée du musée ; une fonction identique à celle qu’il tient dans la réalité15. Ce premier portail richement sculpté ouvre sur une deuxième salle que l’on découvre pleinement à la hauteur du trumeau (fig.8).
De plan sensiblement rectangulaire, chacune de ses faces est occupée par un portail : à gauche celui de Charlieu16, à droite celui d’Avallon17 et, au fond, celui de Vezelay18. L’ensemble apparaît tel un espace typique de l’architecture, celui de la pièce de distribution : le narthex pour une église ou encore le vestibule pour un logement. La cohérence visuelle de l’ensemble est renforcée d’une part du fait de la répétition de l’élément architectonique « portail » dont la fonction, la forme, la dimension et la matérialité sont similaires et reconnaissables. Elle l’est d’autre part du fait que la composition spatiale dans le musée est assez proche de celle des édifices considérés. La superposition des plans des trois édifices positionnés selon la géographie imposée du musée fait apparaître en effet une convergence dans l’orientation des plans. Une convergence géométrique qui rappelle que chacun de ces portails commandent, dans la réalité, l’accès à un narthex ou une nef.
L’examen plus précis, et par un esprit informé, de la confrontation entre la scénographie du musée et les dispositions réelles des édifices tels qu’inscrits dans leur environnement fait apparaître quelques collages architecturaux originaux et néanmoins signifiants. Ainsi, la coïncidence de la géométrie des plans veut que la galerie nord du cloitre qui flanque l’abbaye de Moissac se trouve positionnée à la perpendiculaire du piédroit gauche du portail de la cathédrale de Chartres situé dans la galerie Carlu (fig. 9).
Un autre collage signifiant apparaît lorsque l’on rapproche l’église d’Avallon et le palais du Trocadéro. Il faut alors se remémorer que la ville d’Avallon se trouve implantée sur un promontoire qui domine le Cousin et ses affluents. L’église Saint-Lazare se situe en bordure de ce promontoire. Une situation similaire à celle du palais du Trocadéro implanté sur un promontoire, certes moins abrupt, dominant la Seine. Cette similarité topographique ouvre la voie à un autre collage architectural signifiant. Mise en situation dans le musée, la nef et le chevet d’Avallon sont, de part leur dimension, projetés en dehors de l’enceinte du musée (fig.10). Un autre collage architectural qui cette fois-ci s’invite dans le paysage parisien.
Hétérotopies pour un néo-éclectisme architectural
D’autres collages pourraient être explorés, c’est l’objet d’un projet personnel esquissé ici. Par exemple l’abri qu’offre la porte du Gros horloge de Rouen depuis laquelle on aperçoit le portique de l’hôtel de Bernuy de Toulouse. Ou encore le chevet roman de la chapelle aux moines de Berzé-la-ville en Saone-et-Loire insérée dans une salle du musée dont la configuration correspond à la nef réelle mais flanquée du portail de Vézelay. On s’imagine rentrant dans la petite chapelle intime par le portail grandiose ou inversement quittant le narthex de Vézelay pour découvrir, non pas une nef allongée mais une petite chapelle. A nouveau des incongruités d’échelles qui font cependant apparaître autant d’hétérotopies dont certaines peuvent produire à leur tour des architectures fictives mais signifiantes. Le capriccio, qui dans ce cas procède de l’hybridation entre la situation réelle et celle du musée, produit, au-delà de l’arbitraire, de nouvelles réalités architecturales. En complément de son message historique, le musée des Monuments français est donc bien la source d’une expérience conceptuelle originale et exploitable pour une méthodologie contemporaine du projet d’architecture. Une sorte de néo-éclectisme architectural. Reste à voir, pour paraphraser Robert Venturi (1925-2018), si ce dispositif produira des canards ou des hangars décorés ?
(Article publié dans l'ouvrage "Un nouveau moyen âge, , février 2023)
Liste des illustrations :
Fig.1 – Projet d’affiche pour le musée des Monuments français, s.d. (image : © Cité de l’architecture et du patrimoine / Musée des Monuments français / Caroline Rose)
Fig.2 : Vue du musée de Sculpture comparée : première salle Navellier et Marie d’après une œuvre d’Hubert Clerget (1818-1899). Le Journal illustré du 18 juin 1882 (image : © Cité de l’architecture et du patrimoine / Département des collections)
Fig.3 : Vue du musée de Sculpture comparée, section XVIIe-XVIIIe siècles. Photographie de Camille Enlart, début du XXe siècle (image : © Médiathèque du patrimoine et de la photographie)
Fig.4 – Couverture du livre Comprendre l’éclectisme de Jean-Pierre Epron, 1997 (image : © Editions Norma).
Fig.5 – Vue de la salle d’entrée de l’exposition Elements of Architecture de Rem Koolhaas lors de la Biennale de Venise de 2014 : un collage qui met en exergue l’évolution du catalogue de l’architecture, œuvre de Manfredo di Robilant (image : Sergio Grazia)
Fig.6 – Vue du musée des Monuments français. Le portail de Beauvais en vis à vis de la chapelle d’Avioth : deux façades sud en retour d’équerre (image : Lorenzo Diez).
Fig.7 – Avioth x Beauvais : un capriccio d’architecture imposé par la muséographie et reconstitué in situ. Superposition d’images numériques retouchées (image : Lorenzo Diez).
Fig.8 – La salle du roman de Bourgogne avec au premier plan le trumeau du portail de Moissac : une hétérotopie rassurante (image : Lorenzo Diez).
Fig.9 – La galerie cloître de Moissac accolée au portail de Chartres : une rencontre architecturale possible grâce à la géographie du musée. Superposition d’images numériques retouchées (image : Lorenzo Diez).
Fig.10 – L’église d’Avallon émerge de la façade du Trocadéro : deux architectures édifiées sur des promontoires. Superposition d’images numériques retouchées (image : Lorenzo Diez).