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Des architectes parisiens pour refonder l’enseignement de l’architecture en Lorraine après 1968.
La création de l’UPA de Nancy par l’équipe de la nouvelle revue Architecture Mouvement Continuité : Epron, Boudon, Sarfati et Hamburger
 

(avec Pierre Maurer, historien de l'architecture)
 

Résumé

En 1967, Michel Folliasson, chef d’atelier de l’École régionale d’architecture de Nancy (France) depuis 1957, demande à quitter ses fonctions et se met à la recherche d’un successeur. Ses élèves aussi. Au début de l’année 1968, ces derniers sont appelés à voter entre deux candidats, et choisissent comme nouveau patron Jean-Pierre Epron, architecte réformateur et vice-président de la SADG, qui venait de fonder la revue Architecture mouvement continuité (AMC), avec trois jeunes diplômés : Philippe Boudon et Alain Sarfati, mais aussi Bernard Hamburger.

Les évènements de mai 1968 en France rebattent cependant légèrement les cartes et c’est en tant que directeur pédagogique que Jean-Pierre Epron arrive en Lorraine en septembre 1968 pour la première rentrée scolaire de la nouvelle Unité pédagogique d’architecture de Nancy (UPA). Avec le désir de bâtir un enseignement qui pallie certaines limites de l’enseignement Beaux-Arts centralisé, Epron le Parisien édifie avec Claude Chambon le Nancéien (directeur administratif, issu de l’École des Mines) la charpente d’un véritable cursus de formation à temps plein. Si certains enseignants existants restent en place, l’équipe pédagogique est largement complétée et Epron fait appel à ses collègues parisiens avec lesquels il vient de fonder AMC, en les invitant à venir enseigner en Lorraine. Après avoir fait venir d’autres collègues de la capitale pour étoffer l’équipe pédagogique (Guy Naizot, Michel Conan, Stanislas Fiszer, Alain Peskine), cette équipe aura cependant à cœur de s’associer des assistants essentiellement locaux, qu’ils formeront et à qui ils transmettront quelques années plus tard les rênes de l’établissement.

C’est cette venue d’architectes et intellectuels parisiens et leur relation au milieu local lorrain qui est questionnée dans cet article, en esquissant une caractérisation de la formation mise en place en Lorraine par l’équipe fondatrice d’AMC.


***


 

Une décennie sépare Jean-Pierre Epron (1929-2022) d’Alain Sarfati (né en 1937), Philippe Boudon (né en 1941) et Bernard Hamburger (1940-1982). Pour autant, ces quatre architectes parisiens vont faire équipe d’abord dans l’aventure de la création de la revue Architecture mouvement continuité puis, dans les années 70, à l’invitation d’Epron, à l’Unité pédagogique d’architecture (UPA) de Nancy où ils insuffleront, au-delà des bases pédagogiques, scientifiques et institutionnelles, un esprit réformateur particulièrement fructueux. Comment s’est constituée cette équipe ? Quels étaient leurs projets professionnels et leurs aspirations ? Avant de présenter l’œuvre pédagogique et scientifique commune de ces quatre architectes parisiens à Nancy, il est utile d’évoquer rapidement leur parcours académique au sein de l’école nationale supérieure des beaux-arts de Paris (ENSBA).


 

Quatre parisiens étudiants à l’ENSBA avant 1968

Jean-Pierre Epron entre à l’ENSBA en juillet 1950 au sein du tout nouvel atelier libre de Louis Aublet (1901-1981). Alors qu’il n’est qu’à l’orée de sa formation, il commence à enseigner le dessin pour des commis d’architectes à la Société des architectes diplômés par le gouvernement (SADG)1. Cet intérêt pour la pédagogie se double d’un goût pour l’animation et l’organisation de collectifs qui l’amènera à devenir une des grandes figures des institutions de l’architecture. De retour d’un long voyage aux États-Unis, il obtient son diplôme en 1957 alors même qu’il s’apprête à livrer son premier immeuble à Paris. Il fonde sans tarder une agence avec son futur associé, Christian Édouard-Lambert (1930-2017), laquelle est hébergée dans un premier temps dans l’immeuble d’Auguste Perret, rue Raynouard à Paris. Familier des couloirs de la SADG dès ses études, Epron s’investit rapidement dans la vie de la société.

En 1960, Philippe Boudon, Bernard Hamburger et Alain Sarfati se rencontrent dans l’atelier d’Othello Zavaroni (1910-1991) où ils se forment. Ce patron reconnu, futur président de la SADG, se trouve être un condisciple d’Aublet, le patron d’Epron. L’un et l’autre ont été formés au même moment dans l’atelier d’Albert Defrasse (1860-1939). « Zava », comme d’aucuns le désignent, est un « pédagogue né qui forma de nombreux et éminents talents [...] à qui, surtout, il sut insuffler un indéfectible enthousiasme2. » Lors de séances les samedis matin, Zavaroni réunit les nouvôs et n’hésite pas à aborder tous les sujets, expliquant : « Vos anciens ils repartent avec une petite valise comme ça. Moi je veux que vous repartiez avec une malle3 ». Cette pédagogie ainsi que les cours de David Georges Emmerich (1925-1996) séduisent ces jeunes élèves. Ils n’hésitent cependant pas à aller compléter leur formation au sein de l’Institut d’urbanisme de l’Université de Paris et du Séminaire et Atelier Tony Garnier (SATG) où ils découvrent Christopher Alexander (1936-2022). Autant de ressources qu’ils mobiliseront dans la futur revue AMC.

Durant ces années d’études, une véritable connivence s’établit entre les trois élèves. Ils ont, par exemple, le Maroc en point commun et sont, de fait, fascinés par le travail d’Henri Prost (1874-1959) et intéressés par la question de la fabrique de la ville à un moment où celle-ci semble en crise en France. Sarfati et Hamburger sont diplômés en 1966, respectivement en février puis juillet, Boudon en février 1968 – il est également diplômé de l’Institut d’urbanisme la même année, avec un mémoire portant sur Pessac. Zavaroni propose à Sarfati de partir enseigner aux États-Unis. Une invitation qu’il décline au profit d’un avenir professionnel que les trois architectes envisagent depuis leurs études en commun.


 

La rencontre à la SADG et l’aventure Architecture, Mouvement, Continuité

En 1966, Zavaroni, vraisemblablement porté par une jeune génération de diplômés, est élu président de la SADG. Aux côtés de ce professeur reconnu, Epron devient 1er vice-président et se retrouve, à 37 ans, à la tête du syndicat interne de la société. Habitué de la SADG, le jeune architecte, qui a déjà bien entamé sa carrière de constructeur, porte un plan ambitieux de modernisation organisé autour de trois grands champs d’action : la formation, la profession et l’action culturelle4.

Une des actions du plan d’Epron consiste dans la transformation du bulletin de la société en une revue critique d’architecture. Zavaroni propose d’abord à Sarfati de prendre en charge ce projet. Ce dernier suggère alors d’embaucher Boudon, encore étudiant, comme rédacteur en chef. Epron a conscience que la mutation qu’il propose pour le bulletin est une opération risquée. À cette époque, le bulletin rend plutôt compte des actualités des membres même si des articles de fond sont écrits par Albert Laprade (1883-1978). Avec l’appui de Geneviève Mesuret (1929-2017), documentaliste de la SADG, Epron veille à ce que cette transformation soit une réussite. C’est ainsi qu’habilement, il fait rajouter le mot « Continuité » au titre « Architecture, Mouvement » initialement choisi par les jeunes diplômés pour la revue. De novembre 1967 à janvier 1969 paraissent ainsi onze numéros du bulletin d’une formule entièrement nouvelle. Ils sont surtitrés « Architecture, Mouvement, Continuité », un titre qui le place désormais « sous le signe de la contradiction et du débat5. ». Boudon, Sarfati et Hamburger y convoquent l’ensemble des ressources qu’ils ont accumulées durant leurs études. Epron signe en décembre 1967 un court texte introductif au deuxième numéro qu’il conclut ainsi : « Le monde change et les voies sont différentes, mais dans le motif de notre action, il y a une singulière continuité.6 » Presque 60 ans après, il se rappelle : « C’était une opération gonflée. C’était un bulletin pour les naissances, les mariages et les décès. […] J’ai laissé faire Sarfati, Boudon et Hamburger. Ils avaient de bons projets […]. Brusquement, c’étaient les revues d’architecture qui s’ouvraient.7 »

L’aventure d’Architecture Mouvement Continuité, s’achève au lendemain de mai 1968 et des élections à la SADG qui ne porteront pas le candidat Epron à la présidence8. Cette période fondatrice de la revue, laquelle deviendra par la suite AMC, aura permis néanmoins de réunir les quatre architectes parisiens dans une équipe de fait : Epron et Sarfati agissant au sein du conseil de la SADG ; Boudon, Sarfati et Hamburger agissant dans la revue et sur sa ligne éditoriale.

En dehors de cette activité associative intense qui les réunit entre 1966 et 1968, ces quatre architectes sont installés dans des réalités professionnelles différentes. Les trois jeunes diplômés de Zavaroni s’apprêtent à se lancer dans la vie active. Epron, lui, est installé avec son associé dans une pratique de constructeur en plein développement. C’est dans cette période intense à la vice-présidence de la SADG qu’il décide, sans doute porté par la réussite de son plan d’action, de se tourner plus complètement vers l’enseignement de l’architecture. Une décision qui mènera ce parisien et derrière lui Boudon, Hamburger et Sarfati, vers Nancy.


 

Rentrée 1968 : la fondation de l’UPA de Nancy par deux pédagogues réformateurs

La structuration d’un enseignement de l’architecture à Nancy avant 1968 est une histoire riche et complexe. Bien que proposant un tel enseignement dès la fin du xixe siècle et refusant d’abord d’accueillir une École régionale d’architecture (ERA) proposée par l’État à la suite du décret de 1903, il fallut attendre 1943 pour que l’École des beaux-arts de Nancy soit autorisée à préparer ses étudiants au diplôme d’architecte9. Trois chefs d’ateliers se succédèrent durant la vingtaine d’années de fonctionnement de l’ERA : le Nancéien Roger Mienville (1909-1951) de 1946 à 1951, puis Paul La Mache (1918-1999) entre 1952 et 1957 et Michel Folliasson (1925-2011) jusqu’en 1967. Ces deux derniers patrons étaient parisiens. Leurs assistants en revanche étaient nancéiens.

Lorsque Folliasson annonce en 1967 qu’il quitte l’atelier de Nancy, c’est tout naturellement que ses étudiants, dans la tradition des ateliers extérieurs, se tournent vers Paris pour lui chercher un successeur. L’ambiguïté de l’école de Nancy dont le cœur balance entre Paris et la province, se poursuit. À l’époque, l’atelier de Nancy est rattaché au groupe C installé au Grand palais et connu pour son esprit progressiste. L’architecte Jean Maneval (1923-1986), alors membre du bureau de la SADG et qui soutient Epron dans son action, recommande à la délégation de rencontrer ce dernier notamment parce qu’il agite la profession. D’autres candidats sont probablement en lice. En février 1968, après avoir soutenu sa candidature devant les élèves à Nancy, Epron est élu par ces derniers nouveau patron de l’atelier de Nancy. Néanmoins c’est avec le titre de directeur pédagogique qu’il est accueilli en septembre 1968 par le nouveau et premier directeur de l’UPA : le Nancéien Claude Chambon (1932-2010), un ingénieur civil des mines, docteur en sciences10. Ensemble, ils vont former un binôme efficace, exigeant et animé par un même esprit réformateur qu’ils ont déjà pu mettre en pratique dans leurs institutions respectives11.

Dès la rentrée 1968 nécessairement chaotique, Epron et Chambon se mettent à la tâche pour donner corps à la nouvelle UPA. Trois actions dans cette période inaugurale peuvent être mises en avant pour avoir laissé une trace dans la mémoire d’Epron et de nombreux témoins. La première concerne la recherche. Chambon qui vient d’une grande école d’ingénieur l’affirme : « il n’y aura pas d’école s’il n’y a pas de recherche. »12 Epron est acquis à l’idée, il a une haute ambition pour l’enseignement. Il met sur pied, dès cette première année le CEMPA (Centre de recherche méthodologique pour l’aménagement), une association dont il est le président. Ce proto-laboratoire est le tout premier crée au sein des jeunes UPA de l’Hexagone. Il sera l’un dès principaux foyers de la recherche architecturale naissante en France où enseignants, étudiants et lui-même mèneront de nombreuses études pionnières. Le CEMPA servira aussi à préparer les premiers étudiants de la nouvelle UPA à devenir les enseignants de la génération suivante. La deuxième action concerne le cursus. Fort de sa triple expérience de constructeur, d’élu-organisateur des institutions et d’enseignant, Epron structure le nouveau cursus de formation dans un contexte national où règne l’absence de cadrage. Il garde en mémoire d’avoir défini trois grands cours pour l’enseignement d’initiation à l’architecture en premier cycle : échelle, référence et structure, confiant le premier à Boudon et se réservant le dernier. Le reste du cursus se structure rapidement au fur et à mesure que la première promotion avance dans la formation. Enfin, la dernière action notable concerne l’équipe d’enseignants qu’il recrute peu à peu avec Chambon. Epron veille à mettre sur pied une équipe diversifiée pour mettre en œuvre le cursus et plus particulièrement l’enseignement du projet d’architecture. S’il fait venir de Paris le reste de l’équipe d’AMC, comme nous le verrons ensuite, il se souvient avoir délibérément choisi avec Chambon d’offrir une place d’assistant à l’ensemble des membres locaux de l’équipe de Folliasson. Certains partiront et d’autres resteront comme Henri Claude (1928-2021), Jean-Marie Collin (1929-2011), Maurice Baier (1923-2016) ou encore Bernard Pierrel (né en 1936). Il complétera l’équipe avec des professeurs invités, une autre de ses initiatives. Il fera ainsi venir à Nancy, pour un semestre, des architectes en vue comme Paul Chemetov (né en 1928) ou Antoine Stinco (né en 1934)13. Ici encore, c’est l’esprit de continuité et d’ouverture d’Epron qui permettra d’installer à Nancy une diversité doctrinale et pédagogique probablement unique dans l’univers naissant des UPA.

Aussi, lorsqu’il propose à ses confrères parisiens d’AMC de venir le rejoindre à l’UPA de Nancy, Epron a déjà installé ce que Joseph Abram appelle un « [...] plateau ouvert à l’expérimentation pédagogique et à la recherche ». À ses yeux, un des traits distinctifs de la démarche d’Epron est « son libéralisme, au sens noble du terme, celui de Julien Guadet, qui disait de l’École des Beaux-Arts qu’elle était “la plus libérale du monde”. Mais un libéralisme s’exerçant dans un contexte différent, celui d’une intellectualisation généralisée des études d’architecture14 ».


 

Un vrai quatuor engagé dans la pédagogie de l’architecture se forme à partir de 1969

Dès son arrivée à Nancy, Epron, qui a vu les anciens rédacteurs du nouveau bulletin de la SADG à l’œuvre, les invite à participer à des jurys de l’UPA. Ils sont embauchés comme vacataires dès 1969. Boudon est le premier, puis Sarfati et Hamburger. Avec Epron, un véritable quatuor se forme. Il nait d’une formation commune, de l’aventure AMC et de l’ouverture d’esprit du directeur pédagogique. Ainsi, à Nancy, chacun trouve sa place dans une alliance de complémentarité et de confiance mutuelle. Les rôles sont implicites mais clairs, au point d’être concrétisés au sein de départements de spécialisations en 3e cycle (jusqu’en 1977) affiliés à un enseignant responsable : Epron pour la pratique professionnelle, Boudon pour la recherche, Sarfati pour l’aménagement et Hamburger pour la construction15. Au-delà de leurs enseignements, les quatre architectes parisiens se réunissent régulièrement durant leurs séjours hebdomadaires à Nancy qui, la distance aidant, fabriquent un ailleurs dans leur quotidien parisien. Ils témoignent que les trois heures des trajets en train sont aussi un espace privilégié de discussions et d’échanges pour construire le nouvel enseignement de l’UPA de Nancy. À Paris, si Boudon, Hamburger et Sarfati se côtoient quotidiennement à l’AREA, Epron quant à lui mène ses propres activités professionnelles et institutionnelles. 

De fait, les premières années de l’UPA de Nancy correspondent à la fondation, par ces trois anciens élèves de Zavaroni, de l’Atelier de Recherche et d’Études d’Aménagement (AREA) : une agence installée à Paris qui fonctionnera jusqu’en 2000. Comme le CEMPA, l’AREA ambitionne d’être un outil de prospective au carrefour des disciplines, qui s’interroge sur le devenir de la ville, souhaitant mettre en adéquation la théorie et la pratique16 dans une discipline, l’architecture, où la recherche est « consubstantielle de la pratique17 ». Il y a de fait de nombreuses porosités entre l’UPA de Nancy et l’AREA, extérieure à l’école. De ce fait, Boudon et Sarfati s’impliqueront peu dans le CEMPA.

Bien qu’ils aient une maturité professionnelle différente, un esprit d’innovation rassemble clairement les quatre architectes, à tel point qu’Epron leur propose, en plus de l’enseignement, de répondre ensemble en 1970 à un grand projet de logement à Senlis pour lequel il a été consulté par la Société nationale de construction pour les travailleurs (Sonacotra). Pour ce projet le quatuor propose audacieusement de nouvelles typologies de logements, en rupture avec les barres et les tours qui étaient de mise jusqu’alors. Ils proposent également des réflexions sur une trame urbaine orthonormée déformée épousant judicieusement la topographie du terrain. Si le projet ne retient pas l’attention du président de la société, Eugène Claudius-Petit (1907-1989), cette expérience commune est néanmoins instructive quant aux convictions architecturales de ces hommes. Elle fournira, selon Sarfati, les prémices du projet des Coteaux de Maubuée à Marne-la-Vallée que l’AREA remportera en 1975.

À Nancy, les quatre architectes parisiens s’engagent dans l’enseignement avec conviction, sans pour autant concevoir une formation spécifique à un contexte local. Comme indiqué, le débat Paris-province semble clos depuis la création de l’ERA de Nancy : il s’agit d’enseigner l’architecture, mais le cadre nancéien n’a que peu d’incidence sur la pédagogie mise en place – exception faite de l’implication essentielle de Chambon et de ses liens avec le milieu local. De fait, si l’exigence est donnée par Epron et Chambon, le modèle est celui de scientifique qui enseignent à l’école des Mines, ce qui constitue un challenge important. Le projet pour l’école aspire à établir un lien constant entre action et réflexion, entre enseignement et recherche. Une ambition qui prolonge ce que ces parisiens ont essayé de mettre en œuvre dans la revue AMC et qui amènera dès 1969, d’une part, Epron à fonder le CEMPA et, d’autre part, le trio à cofonder l’AREA.

Sans explorer l’ensemble des pratiques pédagogiques développées à Nancy, citons quelques éléments saillants d’une pédagogie renouvelée, qui ne veut pas se placer en opposition totale au modèle Beaux-Arts, comme cela semble avoir été le cas dans d’autres écoles, mais plutôt le réinventer avec une distance critique. Ainsi peut-on citer un séminaire « Esquisses » d’Epron18, le projet « à la manière de » porté par Boudon, mais dont l’impulsion revient à Chambon, mais aussi l’introduction des sciences humaines. Dans la droite ligne des intuitions d’AMC, l’équipe pédagogique fait effectivement le choix de donner une large place en premier lieu à l’histoire mais aussi à la sociologie, à la géographie, l’anthropologie ou encore à la philosophie. Dans cette logique, Epron ne se contente bien évidemment pas d’impliquer dans l’équipe pédagogique ces trois membres de l’équipe AMC-AREA. Si quelques enseignants de l’ancienne ERA sont impliqués, Epron ne se tourne que peu vers les architectes ou des universitaires implantés localement. La nouvelle équipe privilégie ainsi des connaissances parisiennes. Ainsi, pour étoffer le corps enseignant, Boudon suggère quelques noms, comme Monique de Gandhillac ou Guy Naizot. Viendront également Michel Conan, Stanislas Fiszer, Alain Peskine, ou encore pour les autres disciplines Jacques Maltcheff, ou Jean-Pierre Marchand19.


 

UPA de Nancy : une école d’enseignants ?

Bien qu’habituée aux patrons parisiens d’avant 1968, la jeune UPA de Nancy est profondément marquée par cette nouvelle génération d’architectes parisiens dont la stature d’enseignant, voire de chercheur, est déterminante. Epron, Boudon, Sarfati et Hamburger, qui en sont les principales figures durant les années 70, forment rapidement une équipe avec leurs premiers étudiants, pour la plupart passés par le CEMPA, à qui ils n’hésitent pas à confier certains enseignements. Ces enseignants (Joseph Abram, Jean-Claude Bignon, Marie-José Canonica, Jean-Jacques Cartal, Anne-Marie Crozetière, Christian François, Daniel Gross, Guy Malot, Jean-Pierre Perrin, Alain Potoski, Françoise Schatz, André Vaxelaire ou encore Jean-Claude Vigato, auxquels s’adjoindront par la suite Vincent Bradel, Gérard Lami, Claude Malchiodi, Daniel Rémy ou encore Jean-Claude Paul) leur succèderont et constitueront le noyau dur de l’école jusque dans les années 201020. De fait, depuis le début des années 1980, les enseignants de la 1ère génération se retirent peu à peu au profit de la seconde. Epron quitte l’école en 1981 pour s’investir dans une nouvelle fondation, celle de l’Institut français d’architecture. Les trois autres membres du quatuor poursuivent leur carrière à Paris dans d’autres écoles d’architecture : à La Villette pour Boudon et à Tolbiac pour Sarfati. L’équipe parisienne aura ainsi formé une équipe locale, qui s’est réappropriée l’héritage de la première, qui lui avait accordé une précieuse confiance, traduisant l’ambition d’Epron de faire de Nancy une école d’enseignants de l’architecture21.


 


 

Bibliographie

Abram Joseph, Enseignement/Profession/Recherche. Retour sur le projet pédagogique de Jean-Pierre Epron ou le noble engagement du métier d’architecte, conférence donnée à l’Académie d’architecture, Paris, 7 novembre 2019.

Diez Lorenzo, « Epron, chercheur et pédagogue : sources et ressources pour le territoire des écoles d’architecture », dans Actes du congrès AREF, Université de Lorraine, 2-3 juin 2021, p. 88-97.

Diez Lorenzo, « Le séminaire esquisses de Jean-Pierre Epron à l’UPA de Nancy : histoire d’un dispositif pédagogique et premiers éléments pour une mise en perspective à l’usage de l’enseignement de/du projet d’architecture », dansActes des 6e Rencontres doctorales en architecture et paysage, ENSA Paris-Val-de-Seine, 25-26 octobre 2021, Paris, Éditions du patrimoine, 2023 (à paraître).

Diez Lorenzo, « Le premier et le dernier élève de Jean-Pierre Epron. Premiers repères pour une biographie », dans Araujo (de) Ana bela, Curien Émeline, Maurer Pierre et Thilleul Karine (dir.), Le véritable enjeu de l’histoire est la contemporanéité. Mélanges offerts à Joseph Abram, Albias, Jean-Michel Place éditeur, 2022, p. 185-189.

Doucet Hervé, « La création de l’école d’architecture de Nancy. Généalogie d’un rendez-vous manqué », EnsArchi, 2021, https://ensarchi.hypotheses.org/1845 (consulté le 23 avril 2022).

Gregorcic Mirjana et Maurer Pierre, « La deuxième génération d’enseignants de l’école d’architecture de Nancy. Influences, parcours et héritage (de 1970 à nos jours) », HEnsA20, cahier no7, 2019, p. 42-47.

Jouannais Ève, De la SADG à la SFA, histoire d’une société d’architectes. Deuxième partie : 1940-1992, Paris, SFA, 1992.

Langlois Christian, Discours prononcé dans la séance publique tenue par l’Académie des beaux-arts pour la réception de M. Michel Folliasson, Paris, Institut de France, 24 mars 1999.

Marseille Gilles, « Capitale capitale. Ou comment Nancy s’en remit à Paris pour former l’élite architecturale de Lorraine (1881-1946) », HEnsA20, cahier no10, 2020, p. 20-29.

Maurer Pierre, « Nancy, l’école qui n’existait pas. École régionale d’architecture de Nancy (1946-1968) », EnsArchi, 2022, https://ensarchi.hypotheses.org/2185 (consulté le 23 avril 2022).

Maurer Pierre, « Ensa de Nancy », in Chatelet Anne-Marie, Diener Amandine, Dumont Marie-Jeanne et Le CouédicDaniel (dir.), L’architecture en ses écoles. Une encyclopédie de l’enseignement de l’architecture au XXe siècle, Châteaulin, Éditions Locus Solus, 2022, p. 264-266.

Rambert Francis, Alain Sarfati (Gros Plan 14), Paris, Institut Français d’Architecture, 1994.

Texier Simon, « AMC 1967-1968. Les origines d’une revue », AMC, no212, 2012, p. 1001-1009.


Erratum

Page 7 : Chambon a bien impulsé un cours d’histoire de l’architecture moderne, mais non la modalité pédagogique du principe « à la manière de » dont Boudon pris le parti dès lors que l’idée d’histoire du temps présent lui paraissait inadéquate.

Page 7 : Sarfati a poursuivi sa carrière d’enseignant dans l’école de Charenton et non dans celle de Tolbiac.

1Diez Lorenzo, « Le premier et le dernier élève de Jean-Pierre Epron. Premiers repères pour une biographie », dans Araujo (de) Ana bela, Curien Émeline, Maurer Pierre et Thilleul Karine (dir.), Le véritable enjeu de l’histoire est la contemporanéité. Mélanges offerts à Joseph Abram, Albias, Jean-Michel Place éditeur, 2022, p. 185-189.

2Langlois Christian, Discours prononcé dans la séance publique tenue par l’Académie des beaux-arts pour la réception de M. Michel Folliasson, Paris, Institut de France, 24 mars 1999.

3Interview de Philippe Boudon par Lorenzo Diez et Pierre Maurer, Paris, 26 octobre 2021.

4Jouannais Ève, De la SADG à la SFA, histoire d’une société d’architectes. Deuxième partie : 1940-1992, Paris, SFA, 1992, p. 23.

5Texier Simon, « AMC 1967-1968. Les origines d’une revue », AMC, no212, 2012, p. 1002.

6Architecture mouvement continuité 2, Bulletin SADG no162, décembre 1967.

7Interview de Jean-Pierre Epron par Lorenzo Diez, Paris, 23 février 2022.

8Louis-Georges Noviant devient président de la SADG en décembre 1968. Epron restera cependant au conseil durant encore un mandat.

9Doucet Hervé, « La création de l’école d’architecture de Nancy. Généalogie d’un rendez-vous manqué », EnsArchi, 2021, https://ensarchi.hypotheses.org/1845 (consulté le 23 avril 2022) ; Marseille Gilles, « Capitale capitale. Ou comment Nancy s’en remit à Paris pour former l’élite architecturale de Lorraine (1881-1946) », HEnsA20, cahier no10, 2020, p. 20-29 ; Maurer Pierre, « Nancy, l’école qui n’existait pas. École régionale d’architecture de Nancy (1946-1968) », EnsArchi, 2022, https://ensarchi.hypotheses.org/2185 (consulté le 23 avril 2022).

10 Diez Lorenzo, « Epron, chercheur et pédagogue : sources et ressources pour le territoire des écoles d’architecture », dans Actes du congrès AREF, Université de Lorraine, 2-3 juin 2021, p. 88-97.

11 Claude Chambon avait été en effet très investi dans la mise en œuvre de la réforme de l’école des mines de Nancy menée par Bertrand Schwartz (1919-2016), directeur de cette école de 1957 à 1966.

12 Interview d’Alain Sarfati par Lorenzo Diez et Pierre Maurer, Paris, 26 novembre 2021.

13 Diez Lorenzo, « Epron, chercheur et pédagogue… », op.cit.

14 Abram Joseph, Enseignement/Profession/Recherche. Retour sur le projet pédagogique de Jean-Pierre Epron ou le noble engagement du métier d’architecte, conférence donnée à l’Académie d’architecture, Paris, 7 novembre 2019.

15 Diez Lorenzo, « Epron, chercheur et pédagogue… », op.cit.

16 Rambert Francis, Alain Sarfati (Gros Plan 14), Paris, Institut Français d’Architecture, 1994, p. 7.

17 Interview d’Alain Sarfati, op.cit.

18 Diez Lorenzo, « Le séminaire esquisses de Jean-Pierre Epron à l’UPA de Nancy : histoire d’un dispositif pédagogique et premiers éléments pour une mise en perspective à l’usage de l’enseignement de/du projet d’architecture », dans Actes des 6e Rencontres doctorales en architecture et paysage, Paris, Éditions du patrimoine, 2023 (à paraître).

19 Maurer Pierre, « École d’architecture de Nancy », dans Châtelet Anne-Marie et alii (dir.), L’architecture en ses écoles. Une encyclopédie du xxe siècle, Châteaulin, Éditions Locus Solus, 2022 (à paraître).

20 Gregorcic Mirjana et Maurer Pierre, « La deuxième génération d’enseignants de l’école d’architecture de Nancy. Influences, parcours et héritage (de 1970 à nos jours) », HEnsA20, cahier no7, 2019, p. 42-47.

21 Interview de Jean-Pierre Epron par Lorenzo Diez, Paris, 1 février 2021.

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