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Ecosystème du bâti ancien
Ceux d'entre nous qui se sont déjà penchés sur le monde du patrimoine architectural auront pu comprendre qu'il est caractérisé par deux approches qui se complètent sans pour autant fusionner : la première est historique, la seconde est esthétique. Ainsi, que se soit au travers de la théorie avec des auteurs comme A. Riegl, J. Ruskin ou plus récemment F. Choay, ou que se soit au travers de la pratique en collaborant avec des architectes du patrimoine, des ABF ou ACMH, le monde du patrimoine semble bien graviter autour de ces deux approches.
Après quelques années passées dans ce « monde », il n'est apparu qu'une troisième approche, plus discrète dans le discours, sous-tendait les deux premières : c'est celle d'un écosystème. Voilà une proposition bien étonnante me direz-vous! Pour ma génération, celle des architectes du recyclage, elle surprend moins. Regardons de plus près quelle est la définition d'un écosystème. Le dictionnaire nous dit qu'il s'agit de l'unité d'étude de l'écologie, qu'elle est composée d'une communauté d'espèces vivantes et d'un environnement physique. La définition ajoute, et ce n'est pas un détail, que ces éléments sont en constante interaction (et équilibre).
Transposée au patrimoine ou au bâti ancien, on distingue bien, au delà de l'abus de langage, ce que peut être cet écosystème. Dans notre cas il s'articule autour de trois pôles que sont: le bâti, l'environnement et l'Homme. Le bâti correspond à la structure, aux matériaux ainsi qu'à leurs inter-relations. L'environnement s'entend avec le site géographique, le climat... Quant à L'homme, il faut l'envisager avec ses pratiques sociales et culturelles de l'habitat. Comme pour les écosystèmes « naturels », les trois pôles sont en constante interaction.
Force est de constater que l'approche du bâti ancien sous la forme d'un écosystème a été jusqu'à des temps récents en arrière plan de nos démarches patrimoniales. Pour ne prendre qu'un exemple, l'architecte des bâtiments de France qui prescrivait un enduit à la chaux ne le faisait pas uniquement pour des raisons esthétiques mais avant tout pour préserver l'équilibre hygrométrique d'une maçonnerie et éviter ainsi sa destruction. Lorsque les plans de sauvegarde interdisaient l'aménagement des combles anciens ou obligeaient au curetage d'une cour c'est aussi parce que ces lieux constituent des espaces communs essentiels pour assurer le développement d'une vie harmonieuse et d'une cohésion sociale.
Pourquoi donc cette approche complète et intégrée était-elle si peu mise en avant? Le sujet était peu porteur? Ou plutôt évident?... Toujours est-il que la question prend aujourd'hui une tout autre importance avec l'émergence des préoccupations environnementales et écologiques dans le monde plus large de la construction (et de l'habitat).
Si l'on s'accorde à envisager l'habitat ancien sous la forme d'un écosystème, et c'est bien ce que nos exposés tenteront par la suite de démontrer, il n'en reste pas moins que celui ci présente des caractéristiques qui lui sont propres. Contrairement aux écosystèmes courants, il est le fruit du travail de l'homme (même si d'autres communautés d'« espèces » y participent, comme les insectes xylophages!). Autre particularité intéressante, il est le résultat d'une recherche et d'un perfectionnement constant et l'histoire de l'architecture peut en témoigner où l'on voit les styles architecturaux « habiller » en surface des évolutions qui sont surtout techniques.
Pourquoi parler de ce processus de perfectionnement? Parce que plusieurs auteurs ou praticiens s'accordent à dire que cet équilibre subtil de l'écosystème s'est perdu au lendemain de la révolution industrielle avec un éloignement des préoccupations environnementales (voir E. Viollet-le-Duc, D. Gauzin-Muller).
Parallèlement à ce découplage entre édifice et environnement, émerge au même moment, comme une forme de réaction, la notion de patrimoine (à ne pas confondre avec celle de monument). Ainsi, privés ou éloignés de cet « écosystème », nos prédécesseurs vont développer une approche du patrimoine bâti plus « historique et esthétique ». Cette situation perdure à mon sens encore aujourd'hui. Trop souvent les approches et les pratiques ne se croisent plus : les uns demandant des enduits à la chaux (pour reprendre le même exemple), les autres subventionnant du « placo » pour assurer un confort thermique. Les pratiques s'additionnent sans pour autant créer un nouvel écosystème. Toutefois, l'émergence forte des questions environnementales nous offre peut-être l'opportunité de sortir de ces pratiques devenues stériles.
Il nous faut alors interroger le bâti ancien sous son véritable jour : celui de cet écosystème subtil, alliant le bâti, l'environnement et l'Homme. Nos actions futures devront s'attacher à le retrouver ou le réinventer. Ainsi envisagés, ces édifices auront le double avantage de nous fournir un corpus de références utiles pour la construction neuves mais aussi de nous interroger sur la pertinence de nos pratiques « d'habiter ».
Dans cette nouvelle approche qui se veut par nécessité pluridisciplinaire, le Ministère de la Culture et de la Communication, au travers des Services départementaux de l'architecture et du patrimoine (SDAP), doit pouvoir compter sur l'expertise des AUE-ABF dont le travail quotidien est sous tendu depuis longtemps par ce regard « écologique » du bâti ancien.
Je vous propose de conclure ce propos en formulant le souhait que, fort de ces constats, notre siècle puisse marquer les retrouvailles entre ces deux cousins séparés par la révolution industrielle : « ECOLOGIE » et « PATRIMOINE ». J'ajouterais, pour la circonstance, autour d'un objectif commun à tous qui est l'art d'habiter.
Conférence donnée lors du Colloque « Ecologie de l'habitat ancien », Brest, mars 2005.