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Jean-Pierre Epron (1929-2022), fondateur d'AMC
La disparition de l’architecte Jean-Pierre Epron, le 17 août 2022 dans sa 93e année, est l’occasion de revenir sur le riche parcours de ce fondateur oublié d’AMC, figure de l’enseignement et de la recherche en architecture après 1968.
Jean-Pierre Epron commence ses études d’architecture en 1950 aux Beaux-Arts, dans l’atelier Aublet et devient enseignant de dessin dans l’école des commis d’architectes de la Société des architectes diplômés par le gouvernement (SADG). Une longue aventure à l’origine de sa vocation de pédagogue, réformateur inventif, qui trouvera son épanouissement à Nancy puis à l’école de Chaillot en passant par l’Institut français d’architecture (IFA).
En mars 1957, alors qu’il construit déjà son premier édifice rue Notre-Dame-des-Champs à Paris, il soutient son diplôme devant Marcel Lods et André Gutton : « Ce jour-là, j’arrivais en retard à la réunion de chantier mais j’étais architecte ! » aimait-il à dire. Associé à Christian Edouard-Lambert, il fonde une agence hébergée chez Auguste Perret et réalise de nombreuses architectes durant deux décennies. En 1966, à 37 ans, il devient premier vice-président de la SADG aux cotés d’Otello Zavaroni. Durant les deux années d’un mandat trop court, il porte un plan ambitieux de modernisation orienté vers la formation, la profession et l’action culturelle. Il a notamment l’idée de transformer le bulletin mensuel de la société en une revue critique d’architecture nommée « Architecture-Mouvement-Continuité ». Conscient que la mutation qu’il propose est risquée, c’est lui qui ajoute habilement le mot « Continuité ». Il en confie les rênes à trois jeunes diplômés de Zavaroni : Philippe Boudon, Bernard Hamburger et Alain Sarfati. Fin 1967, Epron signe l’introduction du deuxième numéro qu’il conclut ainsi : « Le monde change et les voies sont différentes, mais dans le motif de notre action, il y a une singulière continuité. »
Quelques mois avant Mai-1968, il est élu nouveau patron de l’atelier de Nancy par les étudiants. Passant d’un engagement à l’autre, Epron s’investit pleinement dans ce nouveau projet, fort de sa triple expérience de constructeur, d’élu des institutions et d’enseignant. Il fixe rapidement les grandes lignes d’un cursus exigeant et ouvert à l’expérimentation et fait venir à Nancy ses compagnons de route d’AMC. Dès juillet 1969, il crée le Centre étude méthodologique pour l’aménagement (Cempa), un proto-laboratoire de recherche dans lequel il mène une intense activité de chercheur et amorce la formation par la recherche des futurs enseignants nancéiens. Parmi ses recherches, « Enseigner l’architecture – l’architecture en projet » constitue une analyse probablement inégalée de l’enseignement depuis Jacques-François Blondel. Entre les partisans de l’abandon du « projet » et les nostalgiques des Beaux-Arts, Epron ouvre une troisième voie, celle de la pratique critique d’une pédagogie de projet polie par les siècles. Cette vision l’amène à participer au niveau national aux principales commissions et propositions de réforme. Au début des années 1980, alors qu’il amorce ses recherches sur le jugement en architecture, il participe activement à la préfiguration de l’IFA, dont il dirigera le département « Echanges et formations ». Son expérience et sa vision surplombante de l’architecture l’amènent à être chargé du colloque inaugural « Architecture, architectes », en 1981. A l’image du Cempa, Epron organise son département comme une pépinière de jeunes chercheurs. De cette période sortira notamment, au début des années 1990, un ouvrage de référence en trois tomes : Architecture, une anthologie. Le pédagogue se sent à l’étroit à l’IFA et, en 1987, il renoue avec le huis clos de la classe. Il est invité à enseigner à l’école de Chaillot, où il développe un séminaire intitulé « Administration de l’architecture et contrôle architectural ». Il y rassemble ses sujets de prédilection dans une vaste structure aussi ouverte qu’érudite. Avec l’humour pince- sans-rire qui caractérisait cet humaniste engagé, il offre aux étudiants – parmi lesquels le futur Grand Prix de l’architecture Philippe Prost – une magistrale démonstration de l’institutionnalisation de l’architecture dans l’histoire, de l’exercice du projet et de la pratique du jugement. Dix années plus tard, il publiera Comprendre l’éclectisme, un ouvrage incontournable. Epron nous laisse une œuvre intellectuelle et institutionnelle concrète, puissante et souvent prémonitoire. Sa pensée ouverte est plus qu’utile pour s’emparer habillement du noble engagement du métier d’architecte dans la société.
(Article publié dans la revue AMC, n°311, février 2023)
Références bibliographiques
Epron J.-P. (dir.), 1973, Conception architecturale et industrialisation, Nancy, CEMPA.
Epron J.-P., 1975, Enseigner l’architecture – l’architecture en projet, Paris, CERA.
Epron J.-P. - Gross D., 1977, Norme et institution, Nancy, CEMPA.
Epron J.-P. - Rebois D., 1980, Le jugement en architecture, Nancy, CEMPA.
Epron J.-P., 1981, L’architecture et la règle – Essai d’une théorie des doctrines architecturales, Liège, Mardaga éditions.
Epron J.-P., 1984, L’école de l’académie (1671-793) ou l’institution du goût en architecture, Nancy, CEMPA.
Epron J.-P. - Ewald F., 1985, Patrimoine et contrôle architectural – Introduction à l’étude des pratiques du jugement, Paris, IFA-MELT.
Epron J.-P., 1992-93, Architecture, une anthologie (3 tomes), IFA-SCIC, Liège, Mardaga éditions.
Epron J.-P., 1997, Comprendre l’éclectisme, Paris, Norma éditions.
Diez L., 2021, « Administration de l’architecture et contrôle architectural : le séminaire de Jean-Pierre Epron à l’École de Chaillot, 1987-2001 », HEnsA20 cahier n°9, Strasbourg, 2021.
Diez L., 2023, « Le séminaire esquisses de Jean-Pierre Epron à l’UPA de Nancy », in Actes des 6e Rencontres doctorales en architecture et paysage, ENSA Paris-Val-de-Seine, 25-26 octobre 2021, Paris, Éditions du patrimoine (à paraître).